Déguignet et l'alcoolisme en Bretagne au 19e siècle
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Dans sa vie professionnelle d'agent d'assurance, Déguignet avoue une consommation personnelle et collective dans le milieu agricole, laquelle semble coutumière : « <i>Nous restâmes longtemps là car le cidre et le café fortement carabiné avaient délié toutes les langues. </i> », « <i>nous ne pourrions jamais retourner au bourg, rapport à la neige et aussi rapport à la boisson que nous n'avions cessé d'ingurgité depuis le matin.</i> » | Dans sa vie professionnelle d'agent d'assurance, Déguignet avoue une consommation personnelle et collective dans le milieu agricole, laquelle semble coutumière : « <i>Nous restâmes longtemps là car le cidre et le café fortement carabiné avaient délié toutes les langues. </i> », « <i>nous ne pourrions jamais retourner au bourg, rapport à la neige et aussi rapport à la boisson que nous n'avions cessé d'ingurgité depuis le matin.</i> » | ||
- | Si Déguignet est effrayé des désastres du fléau alcoolique, ce n'est pas pour autant qu'il approuve les anti-alcooliques moralisant comme Anatole Le Braz. Ce dernier faisait une conférence sur le sujet à Quimper en 1901, il note : « <i>Mais que diable a pu dire ce jésuite au sujet de l'alcool qui n'aît pas été dit et redit cent fois par les déments de l'antialcoolisme !</i> ». | + | Si Déguignet est effrayé des désastres du fléau alcoolique, ce n'est pas pour autant qu'il approuve les anti-alcooliques moralisant comme Anatole Le Braz. Ce dernier faisait une conférence sur le sujet à Quimper en 1901, il note : « <i>Mais que diable a pu dire ce jésuite au sujet de l'alcool qui n'aît pas été dit et redit cent fois par les déments de l'antialcoolisme !</i> ». Sa conférence fut une litanie d'anecdotes sur des alcooliques contemporains, mais Déguignet relève que son fond de commerce des « Légendes de la Mort » contient nombre de légendes où déjà l'alcool est du côté de Satan et combattu par Dieu. |
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+ | Et de conclure que la compagne politique anti-alcoolique est une manifestation de lutte de classes : « <i>es milliers des sociétés antialcooliques, toutes composées de nobles, de curés et de bourgeois, se sont formées </i> », « <i>ces messieurs, bons buveurs de champagne et de Château-Margaux, trouvent que la loi n'est pas encore assez sévère, car ils voient les malheureux boire toujours des alcools</i> ». | ||
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Mais hélas, quand j'arrivai chez moi, je vis bien que tout était fini. Ma femme était tombée de la folie modérée dans la folie furieuse, on était obligé de l'attacher et deux jours après le médecin me dit qu'il fallait la conduire à l'hospice, car elle commettrait certainement quelques malheurs ... Ma femme, depuis qu'elle était dans ce malheureux débit, n'avait fait que dépenser. Tout l'argent était sorti et aucun sou n'était entré, et il restait encore des boissons à payer. | Mais hélas, quand j'arrivai chez moi, je vis bien que tout était fini. Ma femme était tombée de la folie modérée dans la folie furieuse, on était obligé de l'attacher et deux jours après le médecin me dit qu'il fallait la conduire à l'hospice, car elle commettrait certainement quelques malheurs ... Ma femme, depuis qu'elle était dans ce malheureux débit, n'avait fait que dépenser. Tout l'argent était sorti et aucun sou n'était entré, et il restait encore des boissons à payer. | ||
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+ | <br><big><b>Élections arrosées</b></big> | ||
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+ | Les châtelains réunissaient chez eux leurs fermiers et leurs ouvriers, auxquels ils donnaient, comme on disait alors, des <i>rastels</i> <ref name=Rastel>{{BR-Rastell}}</ref> pleins, c'est-à-dire, à boire et à manger à volonté. Notre châtelain avait aussi convoqué les siens, le soir, la veille du vote. Après le <i>rastel</i> <ref name=Rastel>{{BR-Rastell}}</ref>, il leur avait dit de se trouver le lendemain matin à une auberge près du bourg où il y auraient encore distribution de <i>gwin ardent</i> <ref name=GwinArdant>{{BR-GwinArdant}}</ref> et des bulletins et le maître les conduirait ensuite en rangs serrés au scrutin. | ||
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Il aurait pu conter quels-unes de ces légendes bretonnes dont il a, chez lui, un stock considérable et dans lesquelles l'alcool joue en grand rôle, par exemple l'histoire de <i>glaoud ar Skaon</i> <ref>Conte « Glaoud ar Skañv », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. IXXIII, p. 429-432, édition de 1893.</ref> qui fut enlevé par Paolic, le diable, parce qu'il se saoulait trop et que dans ses folies alcooliques, il blasphémait Dieu et appelait toujours le diable, ou bien cette belle légende de la route du paradis sur laquelle, d'après la légende bretonne, il y a quatre-vingt dix-neuf auberges dans lesquelles les âmes allant au ciel doivent s'arrêter boire et payer comptant, sous peine d'être contraintes de prendre le chemin de l'enfer. | Il aurait pu conter quels-unes de ces légendes bretonnes dont il a, chez lui, un stock considérable et dans lesquelles l'alcool joue en grand rôle, par exemple l'histoire de <i>glaoud ar Skaon</i> <ref>Conte « Glaoud ar Skañv », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. IXXIII, p. 429-432, édition de 1893.</ref> qui fut enlevé par Paolic, le diable, parce qu'il se saoulait trop et que dans ses folies alcooliques, il blasphémait Dieu et appelait toujours le diable, ou bien cette belle légende de la route du paradis sur laquelle, d'après la légende bretonne, il y a quatre-vingt dix-neuf auberges dans lesquelles les âmes allant au ciel doivent s'arrêter boire et payer comptant, sous peine d'être contraintes de prendre le chemin de l'enfer. | ||
- | Il n'y a que l'auberge de moitié route, appelée <i>Bitéklé</i> <ref><i>Bitéklé</i> est l'auberge citée dans le comte « L'auberge du paradis », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356, éd. 1893.</ref> où l'on donne à crédit, aussi cette auberge est toujours remplie. le bon Dieu y vient faire sa ronde une fois par semaine, le samedi soir, pour conduire avec lui ceux qui répondent à l'appel. Mais il y en beaucoup qui sont tellement saouls et la langue si épaisse qu'ils ne peuvent jamais répondre présents. De ce nombre sont Laurent Kérichard et Joseph An Toër <ref>Laur Kerichard et Job an Toër sont les personnages de la seconde partie (rebaptisée ensuite « Les deux ivrognes » dans l'édition de 1902) de « L'auberge du paradis », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356, ed. 1893.</ref>, les deux plus grands buveurs de leur temps. Voilà ce que Le Braz aurait pu conter à son auditoire, il y a des centaines de légendes de ce genre, qui aurait porté une variante dans ces conférences anti-alcooliques qui n'en finissent plus | + | Il n'y a que l'auberge de moitié route, appelée <i>Bitéklé</i> <ref><i>Bitéklé</i> est l'auberge citée dans le comte « L'auberge du paradis », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356, éd. 1893.</ref> où l'on donne à crédit, aussi cette auberge est toujours remplie. le bon Dieu y vient faire sa ronde une fois par semaine, le samedi soir, pour conduire avec lui ceux qui répondent à l'appel. Mais il y en beaucoup qui sont tellement saouls et la langue si épaisse qu'ils ne peuvent jamais répondre présents. De ce nombre sont Laurent Kérichard et Joseph An Toër <ref>Laur Kerichard et Job an Toër sont les personnages de la seconde partie (rebaptisée ensuite « Les deux ivrognes » dans l'édition de 1902) de « L'auberge du paradis », <i>La légende le Mort en Basse-Bretagne</i>, chap. LXXVII, p. 356, ed. 1893.</ref>, les deux plus grands buveurs de leur temps. Voilà ce que Le Braz aurait pu conter à son auditoire, il y a des centaines de légendes de ce genre, qui aurait porté une variante dans ces conférences anti-alcooliques qui n'en finissent plus. |
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- | <big><b>Élections arrosées</b></big> | + | <br>{{Citation}} |
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- | Les châtelains réunissaient chez eux leurs fermiers et leurs ouvriers, auxquels ils donnaient, comme on disait alors, des <i>rastels</i> <ref name=Rastel>{{BR-Rastell}}</ref> pleins, c'est-à-dire, à boire et à manger à volonté. Notre châtelain avait aussi convoqué les siens, le soir, la veille du vote. Après le <i>rastel</i> <ref name=Rastel>{{BR-Rastell}}</ref>, il leur avait dit de se trouver le lendemain matin à une auberge près du bourg où il y auraient encore distribution de <i>gwin ardent</i> <ref name=GwinArdant>{{BR-GwinArdant}}</ref> et des bulletins et le maître les conduirait ensuite en rangs serrés au scrutin. | + | Mais il faut que je revienne encore sur la campagne anti-alcoolique. Durant la discussion de la loi sur l'interdiction des alcools, un seul député, je crois, parla un peu contre la loi qui allait, disait-il, tuer la poule aux [oeufs] d'or. Enfin des milliers des sociétés antialcooliques, toutes composées de nobles, de curés et de bourgeois, se sont formées depuis, au sein desquelles ne proteste non plus contre la loi. Bien au contraire ces messieurs, bons buveurs de champagne et de Château-Margaux, trouvent que la loi n'est pas encore assez sévère, car ils voient les malheureux boire toujours des alcools. |
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Version du 20 septembre ~ gwengolo 2014 à 07:23
Quel regard portait Jean-Marie Déguignet sur l'alcoolisme dans ses mémoires de paysan bas-breton ? Était-il lui même atteint de la même dépendance toxicomaniaque que celle observée chez ses contemporains ? Et comment se démarque-t-il par rapport à son ennemi Anatole Le Bras dans la lutte anti-alcoolique ? Autres lectures : « CARRER Philippe - Ethnopsychiatrie en Bretagne » ¤ « Espace Déguignet » ¤ « DÉGUIGNET Jean-Marie - Histoire de ma vie, l'Intégrale » ¤ « 1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois » ¤ « Deux morts et un rescapé suite à ivresses prononcées, Le Quimpérois 1839 » ¤ « Déguignet s'oppose au candidat Bolloré lors des élections législatives de 1877 » ¤ |
1 Présentation
À la deuxième question, l'ethnographe Philippe Carrer répond ainsi : « Notre héros échappe, dans l'ensemble, au danger toxicomaniaque. Il n'y a guère que pendant la période assez brève où il place des assurances qu'il mentionne une nette surconsommation. » C'est surtout en tant qu'observateur d'une société rurale du 19e siècle que les écrits du paysan bas-breton sont intéressants. La consommation d'alcool y était bien ancrée que ce soit lors d'évènements comme les élections et les pardons, mais aussi dans la vie familiale et professionnelle. Au pardon de Kerdévot, il observe une consommation généralisée de boissons fortes : « L'esplanade était entièrement couverte de débits et de longues tentes blanches, lesquelles étaient remplis de gens buvant des camots Aux élections l'alcool fort est largement offert aux électeurs : « Le soir, la veille du vote. Après le rastel Dans sa vie familiale, Jean-Marie Déguignet a été éprouvée par la chute de sa femme dans une dépression alcoolique. Profitant de sa situation de débitrice de boissons, Maryvonne « était en train de gaspiller stupidement tout l'argent qui nous restait », et favorisait la consommation de ses clients « toujours fière et glorieuse, et toujours entre deux vins, ne faisait pas faute de leur en servir à bon compte ». |
Dans sa vie professionnelle d'agent d'assurance, Déguignet avoue une consommation personnelle et collective dans le milieu agricole, laquelle semble coutumière : « Nous restâmes longtemps là car le cidre et le café fortement carabiné avaient délié toutes les langues. », « nous ne pourrions jamais retourner au bourg, rapport à la neige et aussi rapport à la boisson que nous n'avions cessé d'ingurgité depuis le matin. » Si Déguignet est effrayé des désastres du fléau alcoolique, ce n'est pas pour autant qu'il approuve les anti-alcooliques moralisant comme Anatole Le Braz. Ce dernier faisait une conférence sur le sujet à Quimper en 1901, il note : « Mais que diable a pu dire ce jésuite au sujet de l'alcool qui n'aît pas été dit et redit cent fois par les déments de l'antialcoolisme ! ». Sa conférence fut une litanie d'anecdotes sur des alcooliques contemporains, mais Déguignet relève que son fond de commerce des « Légendes de la Mort » contient nombre de légendes où déjà l'alcool est du côté de Satan et combattu par Dieu. Et de conclure que la compagne politique anti-alcoolique est une manifestation de lutte de classes : « es milliers des sociétés antialcooliques, toutes composées de nobles, de curés et de bourgeois, se sont formées », « ces messieurs, bons buveurs de champagne et de Château-Margaux, trouvent que la loi n'est pas encore assez sévère, car ils voient les malheureux boire toujours des alcools ». |
2 Extraits des mémoires
Mort de sa femme
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Les tournées d'assureur
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3 Annotations
- Camot, kamo : café mêlé d'eau-de-vie, faux bretonnisme issu du gallo « mikamo », ou « micamo, usité en Trégor et Penthièvre. Dictionnaire askoridik, café avec de l'eau-de-vie : « (arg): Pierig paregzañp, Mikamo (?) ». Mon canepin de Galo, de Galoromaen, un mic ou un micamo : « café arrosé d’eau-de-vie ». Dans un billet du blog ecoutesiilpleut, l'expression « Passez donc prendre un mic ! » utilisée en Mayenne fait aussi référence à un "mic" désignant un café, accompagné ou non de goutte. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 1,0 1,1]
- Rastell, sm. : râtelier, terme imagé désignant les collations apéritives (« apéros ») ou les buffets, notamment lors des campagnes électorales. [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 2,0 2,1 2,2]
- Gwin ardant, g.n.m. : eau-de-vie de raisin, alcool apéritif traditionnel de 18 à 25°, du breton « gwin » (vin) et « ardant » (ardent). [Terme BR] [Lexique BR] [Ref.↑ 3,0 3,1]
- La conférence d'Anatole Le Braz sur l'alcoolisme eut lieu le samedi 18 mai 1901 à Quimper, dans la salle Jeanne d'Arc (transformée au 20e siècle en cinéma Bretagne). Extrait du Courrier du Finistère : « La Bretagne ne peut aspirer à ce grand rôle qu'il lui prédit qu'à une condition ; c'est de dompter dès maintenant, quand elle peut encore en avoir la force et la volonté, ce terrible fléau qui la tue : l'alcoolisme. ». Cf coupures de presse : « CF du 25.05.1901 » ¤ « Le Finistère du 22.05 » ¤ . [Ref.↑]
- Conte « Glaoud ar Skañv », La légende le Mort en Basse-Bretagne, chap. IXXIII, p. 429-432, édition de 1893. [Ref.↑]
- Bitéklé est l'auberge citée dans le comte « L'auberge du paradis », La légende le Mort en Basse-Bretagne, chap. LXXVII, p. 356, éd. 1893. [Ref.↑]
- Laur Kerichard et Job an Toër sont les personnages de la seconde partie (rebaptisée ensuite « Les deux ivrognes » dans l'édition de 1902) de « L'auberge du paradis », La légende le Mort en Basse-Bretagne, chap. LXXVII, p. 356, ed. 1893. [Ref.↑]
Thème de l'article : Ecrits de Jean-Marie Déguignet Date de création : Septembre 2014 Dernière modification : 20.09.2014 Avancement : [Développé] |