Feuillet 1
Mes chers amis,
N'attendez pas de moi un long et éloquent discours ; car mon ignorance de l'art des laïus m'empêchera de vous exprimer, comme il convient, les sentiments que j'éprouve aujourd'hui.
Sentiments de gratitude pour le passé. De joie pour le présent. De confiance pour l'avenir.
Mes remerciements iront d'abord à Dieu que nous sommes heureux de posséder dans notre chapelle et qui nous a permis de célébrer ce centenaire ; ensuite ils iront à nos parents défunts, à ceux qui ont travaillé sans relâche, et que nous regrettons de ne pouvoir associer aujourd'hui à notre joie : à mon grand oncle et à nos grands parents dont le père Fouet vous a retracés si éloquemment la vie, ce matin ; ils iront surtout à mon père que vous avez tous connu et aimé.
Vous tous les anciens ouvriers et employés, n'êtes-vous pas ici pour dire que nous n'avons rien changé à ce qu'il a fait, à l'organisation qu'il avait créée ... l'usine a continué à grandir dans le cadre qu'il avait établi, son développement est une preuve même de l'excellence de son organisation.
La comptabilité chef-d’œuvre de clarté est toujours la même, les services les mêmes.
Au point de vue technique n'avait-il pas le premier, aidé de ses frères et par son frère Léon, particulièrement, mis sur pieds la fabrication des minces et du papier à cigarettes - combien de fois n'ai-je pas entendu raconter par mon oncle ici présent contre les difficultés rencontrées.
Pendant près de 2 ans l'usine ne peut produire une seule feuille de papier, tant était difficile la mise au point de cette nouvelle fabrication : tenacité et persévérance, n'excluant pas l'audace et la décision.
|
Feuillet 2
Vous souvenez vous de la prise de Cascadec en 94, des travaux énormes exécutés avec des moyens limités.
Nous ne pourrions retracer ici ensemble tout ce qu'il a fait car la tâche qu'il accomplie est celle d'un géant du travail.
Mais son travail ne fut pas que matériel il fut aussi moral ... n'est-ce pas une famille qu'il a créée ?
Notre force, ne l'oublions pas, est dans cet esprit de conscience et de devoir qui nous permet de produire un travail honnête, le papier correct et artistique dirai-je qui porte notre renom à l'étranger.
Si je m'étends avec joie sur le souvenir de mon père c'est que je ne crains pas d'être fastidieux, je sais quel attachement vous aviez pour lui.
Mes chers amis, je raconterai un fait qui résumera l'intensité de l'affection dont il était entouré, en connaissiez-vous de plus touchant, le voici tout simplement :
" Quand il y a quelque 35 ans l'usine fut mises en vente pour partage de famille les ouvriers à l'époque rassemblèrent toutes leurs économies et virent les offrir à mon père, par l'intermédiaire du vieil Auffret de ton père Horellou, en lui disant : " M. René, nous vous aimons, nous ne voulons pas d'autre patron que vous, tenez, prenez notre argent si vous en avez besoin pour rester propriétaire de l'usine. "
C'est admirable n'est-ce pas ?
Il m'est impossible de rappeler le souvenir de tous les ouvriers défunts, néanmoins je ne puis passer sous silence le nom de mon vieux contremaître Jean Pierre Rolland un vieil ami, un vieux loup de papeterie.
Mais mes remerciements iront aussi à nos parents et à nos ouvriers morts pour la guerre : à mes beaux-frères Chausse et Thubé, à mon neveu Belbeoc'h, aux 17 ouvriers dont les noms vous ont été lus ce matin à l'église,
|
|
|
Feuillet 3
à ceux qui, par leur sacrifice, nous ont permis de rester Français et libres et nous permettent de célébrer aujourd'hui cette fête.
Mais l'émotion que nous cause le souvenir du passé ne m’empêchera pas de vous dire toute la joie que j'ai à me trouver aujourd'hui parmi vous ... merci à tous d'être venus près de moi.
Combien je suis heureux de t'avoir près de moi ma vieille mère, merci de la tendresse dont tu m'as entouré ... ce que j'ai dit du passé tu l'as vécu ici avec mon père.
Merci à vous père Havret qui avez bien voulu venir, au nom de mes anciens maîtres qui m'ont élevé, m'apporter le témoignage de votre sympathie.
Merci à vous mes oncles Charles et Léon qui avez bien voulu venir à Odet glorifier l’œuvre de vos parents si bons et si dévoués, à vous mon oncle Léon qui m'avez avec M. Charles Chancerelle entouré de conseils si autorisés pendant ma jeunesse.
Merci à vous, mon cher père Thubé qui, pendant la guerre, malgré les soucis que vous causaient la présence au front de vos fils, avez bien voulu vous occuper, pendant près de trois ans, de nos affaires avec un dévouement et une assimilation des affaires, extraordinaires.
Quant au début de la guerre les boches nos gros clients d'alors ont pris notre argent, gardé le papier et incendié nos dépôts à Leipzig, vous avez pour nous plus qu'un appui, c'est avec joie que vous remercie de tout cela et vous pouvez être certain que Pouffick saura ce que vous avez fait, je sais combien cette pensée vous sera douce.
Merci, mon cher Gaston, de tes conseils juridiques et avisés.
Merci à vous M. Georgel pour le travail formidable que vous avez accompli à Cascadec, l'usine la plus moderne de France actuellement.
|
Feuillet 4
Merci à tous mes employés, à Rannou contremaître qui possède 41 ans de service, à Le Gall, à Provost, à Quintin, à Eouzan, à Mlle de Lilliac, à
Mme Coutance, j'en passe et des meilleurs en rappelant cependant tout le mal que s'est donné M. Mallo pour organiser cette fête, mais je garde spécialement pour la fin, pour le bouquet comme l'on dit chez nous, mon bras droit, j'ai nommé Loui Garin ; tous ici, mon cher Louis, reconnaissent le travail opiniâtre et intelligent que vous avez fourni depuis 20 ans et depuis 10 ans spécialement. Merci.
Je n'oublie pas non plus l'architecte [1] , qui cherche à se cacher derrière son voisin, cet animateur des pierres d'Odet, cet artiste à qui nous devons l'Eglise d'Odet exécutée par M. Thomas grand entrepreneur de Cascadec, et qui, vous l'avez su, a remporté la première place au concours des architectes : concours pour l'érection à Sainte-Anne d'Auray du monunent aux morts pour la patrie.
Maintenant, tournons-nous tous vers les alliés, vers nos amis Américains et Anglais. Saluons Le Faurant représentant de la famille Reynolds propriétaire de la marque "Camel", c'est un vieil ami, combien de fois n'avons-nous pas parlé de ce centenaire, auquel devait assister, mon cher et regretté Monsier Walter Reynolds, pauvre Walter, vous vous souvenez de sa dernière visite à Odet et des paroles qu'il avait adressées aux ouvriers d'Odet réunis près de mon bureau ... que ses frères soient assurés que nous leur conservons, tout notre dévouement affectueux et je regrette bien que M. Williams ou ses associés, n'aient pas pu venir aujourd'hui ... vous le leur direz n'est-ce pas M. Faurant.
Et vous mon cher ami M. Wishaw directeur de la B.AT le plus important trust de cigarettes du monde et vous Newton & Groves amis des premières heures "I am very glad to see you, and to drink to good health of B.AT and for your wishes, merci d'être venus vous-mêmes nous apporter le témoignage de votre amitié, j'en suis très fier, et je vous prie de dire
|
Feuillet 5
à Sir Hugo Culiff Ower combien je regrette qu'il n'ait pas pu assister à cette fête.
Je suis heureux aussi d'avoir M. Mahfoud de la maison Abdel Kader ben Turqui, mon plus vieux client algérien et aussi un ami de 12 ans, et vous mon cher collègue M. Harris. Merci d'être venu ...
Cette joie que je ressens aujourd'hui de vous voir tous réunis est augmentée par ma confiance dans l'avenir. Vous pouvez compter sur ma femme, Madame Bolloré, ma dévouée collaboratrice, comme sur moi, nous pensons tous les deux que mon jeune fils René, le 2e du nom, dit "Pouffick" continuera les traditions de la famille.
Voici cent ans que la barque, lancée le 17 février 1822, flotte, elle a vu de fortes tempêtes, elle a fait un long voyage, mais nous devons avoir confiance en elle puisqu'elle a résisté. On doit augurer de l'avenir par le passé.
Heuret mad deoc'h tout [2]
|
|