GEMIE Sharif - La nation invisible, Bretagne 1750-1950 - GrandTerrier

GEMIE Sharif - La nation invisible, Bretagne 1750-1950

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GEMIE (Sharif), La nation invisible, Bretagne 1750-1950, Coop breizh, St-Amand-Montrond, 2013, ISBN 2-84346-585-7
Titre : La nation invisible, Bretagne 1750-1950
Auteur : GEMIE Sharif Type : Livre/Brochure
Edition : Coop breizh Note : traduction française de Patrick Galliou
Impression : St-Amand-Montrond Année : 2013
Pages : 324 Référence : ISBN 2-84346-585-7

[modifier] Notice bibliographique

Couverture

Sharif Gemie est professeur d'Histoire moderne et contemporaine à l'université du sud du pays de Galles. Dans cet ouvrage couvrant deux siècles d'histoire de la Bretagne, il analyse très finement l'identité de ce pays par les relations entretenues avec la nation française.

Pour appuyer sa démonstration, il puise dans de multiples témoignages historiques, et notamment en reprenant plusieurs extraits des mémoires de Jean-Marie Déguignet (1834-1905).

  • Page 112 : « Il fallait tâcher d'entrer propre à la caserne sous peine d'être traité de sale Breton, cocher Breton ».
  • Page 123 : « une langue sans équivalent dans le monde ».
  • Page 174 : la disette des pommes de terre en 1845, « On sait quel désastre, quelle effroyable disette causa cette mort subite des pommes de terre chez les Irlandais autant que chez nous, pauvres bas Bretons, qui ne vivions que d'elles et de pain noir ».
  • Page 184 : la Révolution de 1848, « la révolution vient d'éclater tout à coup, sans qu'on n'eût jamais entendu personne dire un mot d'elle avant ».
  • Page 213 et suivantes : en octobre 1877 la troisième République détrône les cléricaux monarchistes de la Chambre des députés, avec l'aide locale de Déguignet, « Jean-Marie Déguignet a laissé une description très vivante de l'élection à Ergué-Armel, près de Quimper (Finistère) » (cf extrait ci-dessous).
  • Page 234 : l'Union Régionaliste Bretonne, un ramassis de « nobles et de curés ».

Autres lectures : « Espace Déguignet » ¤ « Déguignet s'oppose au candidat Bolloré lors des élections législatives de 1877 » ¤ « La mort subite des pommes de terre rouges en juillet 1845 » ¤ 

[modifier] Extraits

Page 213

Les deux élections législatives de février 1876 et d'octobre 1877, ardemment disputées, constituèrent le point d'orgue de l'affrontement entre monarchistes et républicains ... Jean-Marie Déguignet a laissé une description très vivante de l'élection de février 1876 [1] à Ergué-Armel, près de Quimper (Finistère). Pour lui, la possession du pouvoir était la question centrale : « Les nobles et les jésuites nous ramèneraient certainement quatre ou cinq siècles en arrière, au bon vieux temps où les paysans et les ouvriers étaient considérés et estimés à dix-sept degrés au-dessous des bêtes de somme et des chiens ». Le candidat le mieux placé était un industriel millionnaire [2], monarchiste et clérical, son adversaire, un pauvre homme de loi républicain [3]. Les monarchistes distribuèrent des tracts en breton et en français et employèrent des agents à plein temps qui diffusaient la bonne parole dans les campagnes, distribuant journaux, cigares et alcool. Les propriétaires terriens, que Déguignet appelle « châtelains », firent savoir à leurs fermiers et à leurs ouvriers agricoles comment ils devaient voter.

Le châtelain de Déguignet décida même de prendre les choses en main le jour du vote, conduisant lui-même les électeurs au café puis au bureau de vote. Déguignet, cependant, avait trouvé un moyen de contrer ces influences : il avait distribué des bulletins de vote républicains et demandé à ses concitoyens de les cacher dans leur gilet. Après avoir bu à la santé du châtelain, ils furent menés en procession jusqu'au bureau de vote, et, comme ils s'y attendaient, se virent distribuer des bulletins de vote au nom du candidat monarchiste. Chacun des électeurs avait le bulletin à la main, au vu de tous. Le châtelain se tenait derrière eux, et, comme ils arrivaient au bureau de vote, ils virent approcher d'autres groupes de 50 ou 60 paysans et ouvriers agricoles, chacun étant guidé par son propriétaire. Certains des amis de Déguignet commencèrent à s'agiter en pensant au bon tour qu'ils étaient sur le point de jouer : « Ne parlez pas si fort », les avertit Déguignet, « on verra ce qui arrivera ce soir ».

Le maire de la commune, ex-bonapartiste désormais employé par les « cléricaux-momarchiste », se tenait à l'entrée du bureau de vote. Il affirma sans vergogne à chacun des châtelains présents que les électeurs voteraient comme un seul homme pour le bon candidat et leur serra la main. Déguignet remarqua toutefois que les votants réprimaient un sourire en quittant le bureau pour se diriger vers le café pour y manger et boire aux frais du châtelain. Déguignet note que, des 500 électeurs de la commune, 450 votèrent pour le candidat républicain. Le châtelain et ses agents ne purent en croire leurs yeux : ils se mirent à hurler, à taper du pied, certains fondant même en larmes. Et, plus surprenant encore, Louis Hémon, le candidat républicain, obtint suffisamment de voix pour se faire élire dans la première circonscription de Quimper.

 

Déguignet nous rapporte la réaction de la châtelaine. Elle refusa, tout d'abord, de croire au résultat de l'élection. Lorsque ceux-ci furent confirmés, elle se comporta « comme une hyène enragée ». Elle se rua sur ses terres, tentant de hurler à l'intention de ses ouvriers des mots qui lui restaient coincés dans la gorge : c'étaient des scélérats, des voleurs, des salauds, des pleutres, et pire encore. Elle se mit à frapper les ouvriers terrifiés, sa colère redoublant s'ils osaient protester. Elle les chassa tous - mais dut les rembaucher quelques jours plus tard. Il est certain que le témoignage de Déguignet ne doit pas être pris au premier degré, et l'on peut ainsi s'interroger sur le rôle exact qu'il aurait joué en convaincant ses concitoyens de voter républicain. Si l'on laisse de côté les détails les plus piquants, ce récit nous révèle beaucoup sur les relations d'autorité dans la Bretagne rurale. Ce que l'auteur nous apprend sur la distance qui séparait les électeurs ordinaires de l'élite des propriétaires terriens est corroboré par d'autres sources : le châtelain exerçait une sorte d'hégémonie « naturelle » sur les paysans et les ouvriers agricoles qui craignaient en permanence d'être renvoyés par leur maître.

Dans de telles circonstances, il était difficile, voire impossible pour le peuple des campagnes de s'exprimer, car il n'existait pas de sphère publique où pouvait circuler l'information et se dérouler librement discussions et débats. Voter contre le châtelain requérait un type de courage qui faisait défaut à beaucoup, et même la possession d'informations que ne pouvaient obtenir les électeurs ordinaires. Sous cette domination en apparence tranquille existait cependant un ressentiment diffus, mais néanmoins profond, rumination sur l'injustice de l'ordre social plutôt que conscience de classe bien structurée. Il arrivait parfois que le républicanisme s'adresse à la colère rentrée des paysans, mais le langage qu'il utilisait à cet effet était trop abstrait, son attrait trop faible et ses propositions apparemment trop irréalistes pour convaincre fermiers et paysans de rompre leurs liens de subordination.

Au premier abord, l'histoire que conte Déguignet paraît avoir une fin heureuse. Toutefois, comme toutes les histoires, elle se conclut par un tour inattendu. L'auteur souligne la victoire électorale décisive remportée par les républicains en 1877, mais commente comme suit l'action du gouvernement qui en était issu : « Mais le malheur était que parmi les représentants de cette république démocratique, il n'y avait pas un seul démocrate ... [Dans la République], le vrai peuple n'avait aucun vrai représentant. En revanche, il y avait parmi ces représentants de beaux parleurs, des sophistes, des phraseurs qui savaient endormir le peuple avec la poudre de la rhétorique ».

Le jugement final de Déguignet est-il juste ?

[modifier] Annotations

  1. Il s'agit des élections législatives d'octobre 1877, et non des précédentes de février 1876 comme cela est indiqué par erreur dans les annotations de l'Intégrale des Mémoires de Jean-Marie Déguignet. En effet l'industriel Bolloré et l'avocat Hémon qui étaient déjà candidats en 1876, mais dans deux circonscriptions différentes, s'affrontèrent en 1877 dans la première circonscription de Quimper. [Ref.↑]
  2. Jean-René Bolloré (1818-1881), ancien chirurgien de la marine, est patron des papeteries Bolloré à Odet en Ergué-Gabéric à partir de 1862. Aux élections législatives de février 1876 et octobre 1877 il est le candidat officiel conservateur de la 2e, puis de la 1ère circonscription de Quimper. [Ref.↑]
  3. Louis Hémon (1844-1914) est un avocat et homme politique quimpérois. Il est élu député républicain de Quimper de 1876 à 1885 et de 1889 à 1912, puis sénateur du Finistère. Il connait son heure de gloire en 1897, lors d'un discours sur la validation d'un prêtre catholique, élu à Brest, où il dénonce les ingérences du clergé dans les élections. [Ref.↑]


Thème de l'article : Fiche bibliographique d'un livre ou article couvrant un aspect du passé d'Ergué-Gabéric

Date de création : Février 2014    Dernière modification : 29.03.2014    Avancement : Image:Bullgreen.gif [Fignolé]