Vendredi 2 Février 1838. Gazette des Tribunaux. Journal de jurisprudence et des débats judiciaires.
Cour d'assises du Finistère (Quimper). (Correspondance particulière). Présidence de M. Leminily. Audience du 25 janvier 1838
Yves Pennec, enfant de l'Armorique, est venu s'asseoir hier sur le banc de la Cour d'assises. Il a 18 ans ; ses traits irréguliers, ses yeux noirs et pleins de vivacité annoncent de l'intelligence et de la finesse. Les anneaux de son épaisse chevelure couvrent ses épaules, suivant la mode bretonne. L'interrogatoire qu'il va subir nous fera connaître pourquoi Yves Pennec a quitté ses bruyères pour la salle des assises.
M. le Président : Accusé, où demeuriez-vous quand vous avez été arrêté ?
Yves Pennec : Dans la commune d'Ergué-Gobéric.
D. Quelle était votre profession ? -- R. Valet de ferme: mais j'avais quitté ce métier; je me disposais à entrer au service militaire.
D. N'avez-vous pas été au service de Leberre ? -- R. Oui.
D. Eh bien ! depuis que vous avez quitté sa maison, une forte somme d'argent a été volée à son préjudice ; le voleur devait nécessairement bien connaître les habitudes des époux Leberre ; leurs soupçons se portent sur vous. -- R. Ils se sont portés sur bien d'autres ; mais je n'ai rien volé chez eux.
D. Cependant, depuis cette époque, vous êtes mis comme un des plus cossus du village; vous ne travaillez pas ; vous fréquentez les cabarets ; vous vous livrez à la passion du jeu ; vous y perdez beaucoup d'argent, et l'argent employé à toutes ces dépenses ne vient sans doute pas de vos économies comme simple valet de ferme ? -- R. C'est vrai, j'aime le jeu pour le plaisir qu'il me rapporte ; j'y gagne quelquefois ; j'y perds plus souvent, mais de petites sommes ; et puis j'ai des ressources. Quant aux beaux vêtements dont vous parlez, j'en avais une grande partie avant le vol, entre autres ce beau chupen que voilà.
D. Mais quelles étaient donc vos ressources ?
« Pennec, après s'être recueilli un instant et avec un air de profonde bonne foi : « J'ai trouvé un trésor, voilà de cela trois ans : c'était un soir. Je dormais ; une voix vint tout à coup frapper à mon chevet: « Pennec, me dit-elle, réveille-toi. » J'avais peur, et je me cachai sous ma couverture ; elle m'appela de nouveau ; je ne voulus pas répondre. Le lendemain, je dormais encore ; la voix revint, et me dit de n'avoir pas peur: « Qui êtes-vous ? lui dis-je; êtes-vous le démon ou Notre-Dame de Kerdévote ou Notre-Dame de Sainte-Anne ; ou bien ne seriez-vous pas encore quelque voix de parent ou d'ami qui vient du séjour des morts ? -- Je viens, me répliqua la voix avec douceur, pour t'indiquer un trésor. » Mais j'avais peur, je restai au lit. Le surlendemain, la voix frappa encore: « Pennec, Pennec, mon ami, lève-toi, n'aie aucune peur, ce n'est pas loin. Va près de La grange de ton maître Gourmelen, contre le mur de la grange, sous une pierre plate, et là tu trouveras ton bonheur. » Je me levai, la voix me conduisit et je trouvai une somme de 350 francs.
Ce récit semble ne pas trouver que des incrédules parmi l'auditoire, composé en partie d'habitants de la campagne.
D. Avez-vous déclaré à quelqu'un que vous aviez trouvé un trésor ? -- R. Quelques jours après, je le déclarai à Jean Gourmelen, mon maître. A cette époque, Leberre n'avait pas encore été volé.
D. Quel usage avez-vous fait de cet argent ? -- R. Je le destinai d'abord à former ma dot ; mais, le mariage n'ayant pas eu lieu, j'ai acheté de beaux habits, une génisse ; j'ai payé le prix de ferme de mon père, et j'ai gardé le reste.
Plusieurs témoins sont successivement entendus.
Leberre : Dans la soirée du 18 au 19 juin dernier, il m'a été volé une somme de 260 francs ; j'ai soupçonné l'accusé parce qu'il savait où nous mettions la clef de notre armoire, et qu'il a fait de grandes dépenses depuis le vol. Pennec m'a servi six mois ; il ne travaillait pas, il était toujours à regarder en l'air. Quand il m'a quitté, je ne l'ai pas payé, parce qu'il n'était pas en âge, et que, quand on paie quelqu'un lorsqu'il n'est pas l'âge, on est exposé à payer deux fois. (On rit.)
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