1838 - Procès d'Yves Le Pennec, jeune domestique voleur, sorcier et dépensier
Un article de GrandTerrier.
| Stendhal dans ses mémoires de touriste a évoqué le procès Yves Le Pennec, domestique à Ergué-Gabéric, et démarre sa narration par : « Il y a beaucoup de sorciers en Bretagne ... ».
Mais, à la lecture du compte-rendu du président de séance au tribunal d'assises à Quimper, la réalité est bien plus prosaïque : certes l'accusé prétend avoir entendu des voix, mais il semble que les témoignages de ses concitoyens, dont celui du maire de la commune | |||||||
Autres lectures : « 1836-1837 - Arrestations et interrogatoires d'Yves Pennec, voleur et auteur de vandalisme » ¤ « STENDHAL - Mémoires d'un touriste » ¤ « Un sorcier - Moeurs bretonnes - Ce que vaut une fille, Gazette des Tribunaux 1838 » ¤ « BERNARD Norbert - Les voix d'Yves Pennec » ¤ « 1832 - L'affaire Jean Le Jaouanc, agresseur de Marie-Anne Le Corre » ¤ « 1839 - Acquittement d'Hervé Kerluen, un des plus beaux hommes de Basse-Bretagne » ¤ « 1844 - Placards réglementaires pour les cabarets gabéricois » ¤ |
[modifier] 1 Présentation
C'est Jean-Pierre Le Minihy Contrairement au compte-rendu de la Gazette des Tribunaux au titre évocateur « Un sorcier - Moeurs bretonnes - Ce que vaut une fille » ¤ , et à la transcription légèrement retouchée qu'en a faite Stendhal dans ses « Mémoires d'un touriste », le rapport du juge ne présente pas l'accusé comme un héros « enfant de l'Armorique à l'épaisse chevelure » et les allégations de sorcelleries ne sont pas vraiment prises au sérieux. Les faits révélés par le procès montrent plutôt des scènes typiques et récurrentes d'une société rurale au 19e siècle. Dépendance alcoolique et jeux de cartes L'accusé est décrit ainsi : « Yves Le Pennec, quoique très jeune, avait des habitudes de jeu et d'oisiveté ; quelquefois même il s'abandonnait aux excès du vin ». Toutes ces activités avaient lieu dans les cabarets qui étaient nombreux sur le territoire communal (une quinzaine en 1844). L'expression "quoique très jeune" illustre bien le fait que la fréquentation des cabarets n'était pas l'apanage des jeunes, bien au contraire. Lors des interrogatoires de l'audience du 19 janvier, Corentin Kergourlay (agriculteur à Rubernard) s'exprime sur les pertes et gains aux jeux de cartes : « Il jouait beaucoup la nuit, je l'ai vu perdre jusqu'à six francs, c'est moi qui les lui ai gagnés. (On rit.) C'est un sorcier, il a un secret pour trouver de l'argent. » Le poids social de la parole du maire Le juge relève l'impact du témoignage du maire sur la décision d'acquittement : « Le maire de la commune est celui de tous les témoins qui lui a été le plus favorable. Il a déclaré que Le Pennec ne passait point pour un mauvais sujet ; que depuis plusieurs années il dépensait beaucoup d'argent sans qu'aucun vol eût été commis dans le pays » ; « Dans son incertitude sur le véritable auteur du délit dont il avait été victime, ce dernier témoignage m'a paru produire beaucoup d'impression sur le jury. ». Dans le compte-rendu de la Gazette des Tribunaux, on a même un maire décidé, avec l'attitude d'un homme qui fait acte de courage, sans doute aussi par crainte : « Pennec passe dans ma commune pour un devin et pour un sorcier ; mais je ne crois pas cela, moi ; ce n'est plus le siècle des sorciers. » Les voix et les légendes bretonnes La ligne de défense de l'accusé passe par une évocation de voix d'outre-tombe : « Il avait entendu pendant trois nuits consécutives une voix qui après l'avoir interpellé par son nom, lui disait d'aller prendre une somme de 300 francs qui était cachée dans un trou sous une pierre ». Lors de l'interrogatoire du juge, on a même un dialogue empreint de légendes locales : « Qui êtes-vous ? lui dis-je ; êtes-vous le démon ou Notre-Dame de Kerdévot ou notre-Dame de Sainte Anne, ou bien ne seriez-vous pas encore quelque voix de parent ou d'ami qui vient du séjour des morts ? ». Et lorsqu'il est question de l'argent trouvé sur les indications de cette voix, il est caché derrière une pierre, à l'instar des histoires de trésors laissés dans les manoirs de Lezergué ou de Pennarun, abandonnés par leurs anciens nobles à la Révolution. Le vêtement signe extérieur de richesse Dans son compte-rendu, le juge relate le fait : « Il avait acheté des vêtements pour une somme de 150 francs ». Et manifestement, le fait de posséder une belle garde-robe était un signe de réussite sociale. Et à la fin de l'audience, après l'annonce de l'acquittement, le domestique peut retrouver ses beaux habits : « Aussitôt tous les témoins accourent et viennent respectueusement aider Pennec à emporter ses élégants costumes. Pennec a bientôt endossé le beau chupenn, l'élégant bragonbras et le large chapeau surmonté d'une belle plume de paon, il s'en retourne triomphant à la maison d'arrêt. » |
La valeur de l'argent dûment gagné Dans les rapports du procès, les montants des gages perçus, en moyenne de 30 à 40 F par an, sont détaillés, ainsi que ses dépenses : une génisse 25 F 30, un bouvillon 46F, un chupenn 20 francs, une paire de souliers et ses boucles 5 F 90, un chapeau 5 F. Le large chapeau que Pennec récupère en fin de procès avait-il été fabriqué par l'entrepreneur quimpérois Guillaume Bolloré Il est aussi question d'une dote quand un agriculteur lui demande s'il avait de l'argent pour prétendre être son futur gendre, « il prétendit qu'il avait jusqu'à la concurrence de mille écus », l'écu - en breton skoed, représentant une somme de 3 francs. Le père répondit qu'il n'attendait pas plus de 1500F. Le maire a même confirmé que ce type d'échange lui semblait normal : « C'est vrai ce que dit le témoin ; une fille vaut cela dans notre commune ». Quant à la somme du trésor qu'il prétend avoir trouvé, à savoir « 300 francs en pièces de 6 livres et de cinq francs », sa décomposition est intéressante et nous renseigne sur les pièces en circulation en 1839. En effet, normalement il n'existait plus que des francs en circulation depuis la Révolution, et les pièces de 5 francs étaient devenues courante. Par contre il est également question ici de pièces dites « écu de 6 livres » qui en fait avait en 1838 une valeur d'échange de 5 francs et 80 centimes. Norbert Bernard avance quant à lui cette hypothèse : « La mention de ce type de pièce, ainsi que de leur change, confortent l'idée d'un trésor qui aurait donc pu être enterré avant ou pendant la Révolution ».
En février Yves Pennec passe en jugement pour dégradation de la chapelle de Kerdévot et outrage aux gendarmes. Le substitut réclamera un mois de prison et 500 francs d'amende, soit plus que le montant du vol aux époux Le Berre, mais le tribunal ramènera le montant de l'amende à 100 francs, ce qui équivaut quand même pour lui à trois ans de salaires. Sa peine effectuée, il retrouvera sa place dans la société gabéricoise en se mariant en 1840 avec Marie Mauricette Huitric. |
[modifier] 2 Transcriptions
Entête
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[modifier] 3 Originaux
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Lieu de conservation : Archives Nationales, site de Pierrefitte-sur-Seine. Série : BB/20, comptes d'assises Cotes : BB/20/98, 1e trimestre 1838 Droit d'image : Protégé. Usage : Accès privé et restreint aux abonnés inscrits Accès : Connexion obligatoire sur un compte nominatif d'adhérent GrandTerrier. |
[modifier] 4 Annotations
- René Laurent, agriculteur à Squividan, fut maire de la commune de 1824 à 1846. [Ref.↑]
- Saturnin Jean-Pierre Le Minihy, Conseiller du Roi en la Cour Royale de Rennes, est assisté des juges Crop et Hunault, et de Jean-Louis Le Feuvre, premier substitut du procureur du roi, qui avait été chargé de l'enquête. [Ref.↑]
- Jean-Guillaume Bolloré est né en 1788 à Quimper et se marie en 1819 avec Marie Perrine Le Marié et devient donc le beau-frère de Nicolas Le Marié. Il exerce à Quimper la profession de fabricant de chapeaux. Il intervient dans les affaires de la papeterie de son beau-frère Nicolas Le Marié dès 1859. Et son gendre Jean-René Bolloré prendra la direction de l'entreprise familiale. [Ref.↑]
Thème de l'article : Document d'archives sur le passé d'Ergué-Gabéric. Date de création : Novembre 2014 Dernière modification : 24.05.2019 Avancement : [Développé] |